L'impératrice Eugénie a souvent été vue par ses contemporains comme une très belle femme, ayant un grand sens de l'esthétisme et de la mode, comme ses nombreux portraits tentent d'en rendre compte. Mais elle est décrite aussi comme frivole, ultra-catholique et mauvaise conseillère de Napoléon III. Alors, qui était vraiment l'impératrice Eugénie ?
une adolescente rebelle Née dans une famille espagnole pro-Napoléon
Eugénie de Guzman Palafox y Portocarrero est née le 5 mai 1826 à Grenade, en Espagne. Don Cipriano, son père, est un fervent admirateur de Napoléon Ier : il a soutenu le règne de Joseph Bonaparte, placé sur le trône d’Espagne par son frère Napoléon Ier. Cela lui a valu quelques inimitiés à la chute de l’Empire français, notamment celle du nouveau roi d’Espagne, Ferdinand VII. La jeune Eugénie naît dans une famille francophile et napoléonienne, qui s’installe en France en 1835, dès que ses finances lui permettent.
Âgée de 9 ans, Eugénie entre alors au couvent du Sacré-Coeur de Paris, où elle est une élève assez dissipée. Elle développe ses connaissances et sa culture plutôt en fréquentant les invités prestigieux que sa mère reçoit, comme les écrivains Mérimée et Stendhal. Lorsque son père décède à Madrid, le 15 mars 1839, Eugénie n’a que 13 ans : sa mère doit parfaire son éducation en vue de lui faire faire un beau mariage. Mais la jeune fille est romantique et fougueuse et n’entend pas obéir. Elle tombe amoureuse de son cousin, le duc d’Albe, lui écrit des lettres enflammées, mais il est fiancé à sa soeur aînée Paca. Après cette déception sentimentale, Eugénie ne vit que pour sa passion du théâtre et des bals, et repousse plusieurs fois des propositions de mariage. En 1847, elle prend le titre de comtesse de Teba et devient dame d’honneur de la reine d’Espagne. Mais après une nouvelle dépression à l’automne 1848, sa mère la force à revenir en France. À ce moment-là, Louis-Napoléon Bonaparte vient d’être élu président.
Le mariage avec Napoléon III
Dès son retour en France, début 1849, Eugénie fréquente la princesse Mathilde, la cousine de Louis-Napoléon Bonaparte. Dès leur première rencontre, le futur empereur est sous le charme, et invite la jeune espagnole à Saint-Cloud. Mais, dans un premier temps, Eugénie se montre assez distante avec son illustre soupirant. Revenue d’un long voyage en Europe, Eugénie revoit Louis-Napoléon devenu Prince-Président après son coup d’État du 2 décembre 1851.
Le regard d’Eugénie change au fil des mois, si bien que Louis-Napoléon, devenu Napoléon III le 2 décembre 1852, fait rapidement une demande en mariage à la mère d’Eugénie, le 15 janvier 1853. Le 22 janvier, il officialise l’annonce de son prochain mariage devant les corps constitués (l’ensemble des organes de l’État, dont la chambre législative, le Conseil d’État, par exemple). Le mariage civil se déroule au palais des Tuileries le 29 janvier 1853, suivi le lendemain du mariage religieux en l’église Notre-Dame.
Eugénie est qualifiée « d’ornement du trône » dans le discours de mariage de Napoléon III aux corps constitués. Il attend de sa femme qu’elle soit « catholique et pieuse », et « gracieuse et bonne [pour faire revivre] les vertus de l’impératrice Joséphine ». L’Empereur met ainsi en avant le rôle social qu’il souhaite voir son épouse jouer.
Une souveraine protectrice des pauvres, des femmes et des artistes
Eugénie s’implique profondément auprès des pauvres : elle redonne vie à la Société maternelle, une institution caritative créée par la reine Marie-Antoinette ; elle visite les malades du choléra lors des épidémies de 1865 et 1866 ; elle se préoccupe du sort des enfants détenus en prison. Elle soutient aussi la cause des femmes : elle passe des commandes à la sculptrice Camille Claudel ; elle appuie la candidature (finalement refusée) de l’écrivaine George Sand à l’Académie française ; elle protège Julie Victoire Daubié, la première femme institutrice à se présenter au baccalauréat.
Surtout, elle soutient le travail du ministre de l’Éducation Victor Duruy en faveur de l’enseignement pour les filles. Elle prend parfois également position pour des artistes sulfureux : ainsi, elle défend en 1857 contre la censure le recueil Les Fleurs du mal du poète Charles Baudelaire, en vain.
Une experte de la mode et des mondanités
Eugénie doit aussi s’adresser aux plus aisés et les séduire. Elle se montre très douée dans l’art de la conversation et de la réception au palais de Compiègne, où la cour séjourne chaque été. Émile Ollivier, chef de cabinet (aujourd’hui on dirait premier ministre) de Napoléon III, note cependant que l’Impératrice n’a pas oublié ses jeunes années impétueuses : elle a l’esprit « d’une héroïne de Cervantès », spontanée, emportée et parfois… irréfléchie.
Elle-même dit régulièrement regretter de parler trop vite ! Mais elle a le don de créer des effets de mode grâce à ses toilettes somptueuses (ses ennemis l’appellent « Fée Chiffon ») et de canaliser la cour grâce à des réceptions d’envergure : sans Eugénie, il n’y aurait pas eu l’expression « Fête impériale » qui décrit l’atmosphère exquise qu’elle installe autour de l’Empereur durant deux décennies.
une œuvre en un coup d'œil ?
les bijoux de l'impératrice
Une femme peu présente en politique
Le rôle de l’Impératrice reste très limité. Sa première tâche est de donner un héritier au trône et, après une première fausse couche, elle donne naissance au Prince Impérial, le 16 mars 1856. Ce sera l’unique enfant du couple impérial.
Napoléon III fait parfois de son épouse la messagère de ses décisions sans qu’elle n’ait aucune influence sur celles-ci : elle entretient ainsi une correspondance fournie avec la reine Victoria et lui expose passivement les positions de son époux. La reine Victoria explique ainsi au roi des Belges, en mai 1859, qu’Eugénie est abattue par le conflit du moment entre l’Autriche et la France au sujet de l’Italie : « Ce n’est pas vrai que l’Impératrice [est] si belliqueuse. Lord Cowley [neveu de Wellington et ambassadeur britannique auprès de la France de 1852 à 1867] dit qu’au contraire cela lui a causé du chagrin ».
Son rôle dans l’expédition du Mexique (1862-1837) est tout aussi mineur. Eugénie est certes entourée d’une petite cour mexicaine favorable à l’intervention française, mais Napoléon III est surtout influencé par la perspective financière de cette expédition.
La souveraine française résume ainsi son approche de la politique : « Je n’ai jamais été et ne serai probablement une femme politique », et précise que de toutes façons Napoléon III ne tolère pas les tentatives d’influence sur sa personne.
La légende noire d’Eugénie
Pourtant, les contemporains, et les certains historiens aujourd’hui, prêtent à l’Impératrice une influence sur les décisions de Napoléon III. Eugénie est probablement victime des rumeurs qui courent à son sujet dès son mariage. Le Prince Napoléon, cousin de l’Empereur, et la famille Bonaparte dans son ensemble ont vu une mésalliance dans cette union et ont une antipathie tenace contre la jeune femme.
Le soir-même de la naissance du Prince Impérial, le Prince Napoléon écrit son chagrin de voir Eugénie être confortée par son nouveau statut de mère de l’héritier : « Je rentre chez moi, j’embrasse mon père [Jérôme Bonaparte, frère de Napoléon Ier], encore très malade, qui veut cacher sa peine avec effort et m’embrasse avec effusion et agitation. Ce que nous pensons et éprouvons tous les deux n’a pas besoin de s’exprimer et nous ne nous le communiquons pas ».
Ces relations difficiles, alliées à la haine portée par les républicains à Napoléon III et donc à sa femme, ont contribué à la légende noire d’Eugénie, au-delà de sa mort : on finit par lui reprocher la chute de l’Empire, voire la mort du Prince Impérial !
L’exil et les deuils : le temps du repli sur soi
Après la chute du Second Empire, due à la guerre franco-prussienne de 1870, la famille impériale se réfugie à Camden Place à Chislehurst, au sud-est de Londres, en Grande-Bretagne. À partir de la mort de Napoléon III en 1873, Eugénie se fixe pour unique but de veiller sur le Prince Impérial, seul héritier de la dynastie. À la fin des études du jeune homme, Eugénie le fait voyager à travers toute l’Europe pour défendre son droit au trône… Mais le Prince Impérial pense que sa légitimité passe par la gloire militaire : il s’engage dans les troupes anglaises partant en Afrique du Sud, malgré les supplications de sa mère, et meurt là-bas le 1er juin 1879 durant la guerre entre Zoulous et Britanniques.
Eugénie ne se remettra jamais de la perte de son fils unique : elle part en Zoulouland sur les pas de son fils défunt l’année suivante et, à son retour en Angleterre, fait construire sur le domaine de Farnborough, sa nouvelle demeure, une abbaye servant de tombeau à son époux et son fils. Dès lors, elle se mure dans le silence et semble fuir sa douleur dans les voyages. Depuis son enfance, partagée entre l’Espagne et la France, jusqu’à ses nombreux séjours en bord de mer dans le Sud-Ouest à Biarritz, Eugénie a toujours eu le goût des voyages, mais ils ne réussissent pas à apaiser son chagrin. Eugénie s’éteint à l’âge de 94 ans, à Madrid le 11 juillet 1920. Elle repose auprès de son époux et de son fils à Farnborough.
gALERIE
sources
Sitographie :
- Wikipédia.org
Bibliographie :
- L'impératrice Eugénie et son temps de Jules Bertaut
- Eugénie, la dernière impératrice : ou les larmes de la gloire de Jean Des Cars (Tempus)
- L'impératrice Eugénie, la majesté tragique de Raphaël Dargent (Editions Belin)
POUR ALLER + loin
Le 11 juillet 1920, à 94 ans, disparaissait l'impératrice Eugénie, dernière souveraine des Français. Dans la mémoire nationale, cette fière et belle Andalouse n'a pas la meilleure réputation.
On l'a soupçonnée de frivolité et taxée de frigidité au point que Napoléon III, son mari séducteur, avait dû chercher satisfaction auprès d'autres femmes ; on a moqué son autoritarisme maladroit après qu'elle eut été nommée régente ; surtout, on l'a accusée d'avoir poussé à la funeste guerre de 1870.
On oublie ainsi qu'elle a aimé et défendu son pays d'adoption. Stendhal l'a initiée à l'histoire des Français, Mérimée lui a appris notre langue, elle s'est passionnée pour la défense de Flaubert, traîné en justice, et lui a obtenu la Légion d'honneur.
A rebours des clichés caricaturant une Espagnole confite en dévotion et incapable de saisir l'esprit de son temps, Jean des Cars montre une impératrice appliquant les principes de la doctrine sociale chrétienne : elle crée les Fourneaux économiques, lointains cousins des Restaurants du coeur, elle encourage la formation scolaire et professionnelle des jeunes filles et soutient Pasteur dans sa croisade hygiéniste.
Après la chute du régime, Eugénie, muette, accablée par la mort de son fils unique, et respectée, parcourt pendant quarante années l'Europe avec nostalgie. En 1914, elle est du côté de la France qui souffre. Jean des Cars dresse le portrait d'une grande dame d'hier qui, malgré ses erreurs, n'a jamais manqué de courage.
Près d'un siècle après sa mort, Eugénie de Guzman, dernière souveraine des Français, reste largement une inconnue.
Fille d'un officier espagnol rallié au Premier empire, élevée au rang d'impératrice des Français grâce à Louis-Napoléon Bonaparte, celle dont chacun loua en son temps la grâce autant que le fort caractère mérite mieux que le portrait réducteur, hostile par principe ou exagérément flatteur, qu'ont tracé d'elle ses nombreux adversaires ou ses rares partisans.
Soucieuse de bien jouer son rôle d'impératrice, elle ambitionna comme souveraine de se hisser au niveau de Blanche de Castille et d'Anne dAutriche. Mais en véritable héroïne de théâtre, elle ne put échapper à une destinée fatale marquée par leffondrement du Second Empire, puis par la disparition de son mari et de son fils.
Femme de courage et femme d'honneur, elle s'affirma alors dans le malheur et l'oubli autant qu'elle l'avait fait dans le bonheur et la lumière. Ultime représentante d'un passé révolu de fastes et de grandeurs, elle incarne encore la majesté tragique.
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